Vincent Catala
BRÉSIL
Vincent Catala, né en 1975, est membre de l'Agence VU depuis 2014, il vit et travaille au Brésil depuis dix ans. Diplômé en 2000 d'un master en propriété intellectuelle (Université McGill, Canada), il s'est formé à la photographie en autodidacte avant de s'établir comme photographe professionnel en 2006. Dans ses missions comme dans son travail personnel, il explore la relation de l'individu à son environnement et en reflète les dimensions intimes : solitude, liberté et présence au monde.
Sensible à une approche sur le long terme, Vincent s'intéresse à des territoires spécifiques, à la fois très délimités et complexes, qui donnent une certaine représentation du monde, et où l'idée d'une universalité se joue à travers des rencontres et une géographie donnée. Par exemple, les marges de la ville anonyme et du Brésil, pays partagé entre une fatalité nourrie d'atavismes anciens et un profond désir de changement. Une recherche qu'il a d'abord développée dans la zone ouest de Rio de Janeiro où il a vécu entre 2013 et 2018, qu'il a ensuite poursuivie dans la grande région de São Paulo où il s'est installé en 2019, et qu'il achève actuellement à Brasilia, la capitale.
Régulièrement publié (M le magazine du Monde, Télérama, Fisheye, Revista ZUM, Air France Magazine), son travail a fait l'objet de diverses expositions à Paris, Amman, Rio de Janeiro, São Paulo, Tbilissi et Braga.
En janvier 2015, il a rejoint la collection permanente du Musée d'art moderne de Rio de Janeiro (MAM/RJ). Lors de l'édition 2017 de Paris Photo, la galerie VU a présenté son travail sur le Brésil. L'Institut Moreira Salles (IMS/SP) a fait de même deux ans plus tard à São Paulo. En octobre 2022, une partie de son projet brésilien est exposée au festival In Cadaqués (Catalogne).
- SÉRIE -
L'Île de la Saudade
L'Île de la Saudade
Depuis dix ans, je réalise un travail immersif au Brésil, centré sur les marges des villes que j'ai successivement habitées. Amorcé avec les tensions politiques qui ont débuté en 2014 et poursuivi avec le déclin démocratique incarné par le Bolsonarisme, ce projet interroge l'enracinement des représentations habituelles attachées à ce pays.
Ces images sont extraites de la série en cours intitulée L'île de la saudade, en référence à l'archipel mythique imaginé par le philosophe portugais Eduardo Lourenço, où les habitants seraient prédestinés à se fuir eux-mêmes, comme habités par un état permanent d'exil intérieur.
Le fil rouge de mon travail consiste à sonder les racines de ce malaise, qui s'ancre peut-être dans une origine plus ancienne que cette crise politique.
Le projet explore principalement les périphéries des deux plus grandes villes brésiliennes où j'ai successivement vécu : la zone ouest de Rio de Janeiro et le Grand São Paulo. Au fur et à mesure que je m'habituais au Brésil, je me suis rendu compte que ce type de territoire se retrouve partout dans le pays, et qu'une grande partie des Brésiliens y vivent. Peu à peu, j'ai compris que ces espaces sont une sorte de métaphore, une caisse de résonance miniature des tensions qui secouent le pays depuis 2014.
Dans ces espaces sans frontières ni centre, ni misérables ni riches, l'espace public semble pulvérisé, les corps et les regards semblent s'éviter. Le monumental semble ordinaire et vice versa. Quelque chose semble déplacé, mais quoi ? Le cycle des crises politiques explique-t-il à lui seul cet état de fait ? Ou bien les racines de ce désenchantement ne sont-elles pas plus profondes, dans un pays qui refuse de transcender son histoire esclavagiste et ethnocidaire ?
Pour répondre à ces questions et clore ce projet de longue haleine, je me suis récemment installée à Brasilia, cette étrange capitale, érigée au milieu de nulle part, construite en opposition entre un plan pilote vitrine et des villes satellites. Dans ce mouvement des marges vers le cœur politique du Brésil, il y a le même désir de comprendre ce pays complexe. Car Brasilia est-elle vraiment un centre ? Ou au contraire un mirage, une promesse vide et creuse, donc un reflet logique des lointaines périphéries de Rio et São Paulo ?
Au fil des années, l'expérience intime de l'étranger qui devient familier a fait évoluer ma pratique photographique d'une approche documentaire à une approche plus sensible. Le temps long et l'immersion sont les conditions essentielles pour garder intact le double désir qui m'a fait devenir photographe : témoigner et voir autrement.